Acte I, Scène 2
La tirade du séducteur
Problématiques : - En quoi cette tirade du séducteur révèle-t-elle la personnalité de Dom Juan ?
- En quoi cette tirade du séducteur est-elle un autoportrait ?
- En quoi cet autoportrait est-il un plaidoyer en faveur de l’infidélité ?
I – Une vision particulière de l’amour : l’art du séducteur
1. Un plaidoyer en faveur de l’infidélité : un éloge paradoxal
- vocabulaire juridique et moral : « droit », « justes prétentions » associé à l’infidélité
- femmes envisagées au pluriel et dans leur totalité : « les belles », « les autres », « toutes » : D.J préfère la quantité à la qualité
- « tout le plaisir de l’amour est dans le changement » : formulation de sa thèse, comme un proverbe, au présent de vérité générale et des articles définis (le, l’, le) qui donnent une portée générale à ce principe. Mot « changement » mis en valeur à la fin de la phrase et associé paradoxalement à « l’amour ». D’ailleurs, D.J est dans une logique du « plaisir » (sensuel) et non de « l’amour » (sentiment)
- « on », puis « nous » : D.J veut donner une légitimité à son propos, en faisant de ses principes une loi générale : D.J devient ainsi une sorte de porte-parole des hommes.
- Connecteurs logiques permettent de passer d’un argument à l’autre : discours structuré : « quoi qu’il en soit », « mais », « enfin ».
2. Une vision conquérante / épique de l’amour
- champ lexical de la guerre : métaphore filée de la guerre de conquête, traitée selon une gradation, depuis les « petits progrès » du combat à la « victoire »
- guerre systématiquement associée au plaisir ou à la douceur (lien paradoxal) : oxymore : « douce violence », « douceur extrême à réduire », « combattre par des transports », « vaincre… et la mener doucement », « rien de si doux que de triompher »
- hyperboles : « si j’en avais dix mille », « un cœur à aimer toute la terre », « d’autres mondes » : vision excessive, grandiose, épique de l’amour
- comparaison avec Alexandre : modèle de conquérant : D.J imbu de lui-même, se réfère aux plus grands : argument d’autorité
II – La personnalité de Dom Juan
1. Amour de la beauté et fatalité du désir / L’amour, une fatalité
- champ lexical de la beauté pour désigner les femmes : « les belles », « une belle », « la beauté, « un beau visage », « une jeune beauté » : révèle le caractère superficiel de D.J, sensible uniquement à l’aspect extérieur des femmes
- champ lexical de la vue : « je vois », « mes yeux pour voir »
- D.J ne peut pas résister : avoue une certaine faiblesse qui le décharge de toute responsabilité : « me ravit » (< rapio = enlever, voler, prendre, saisir), « je cède »
- D.J se retrouve grammaticalement en position d’objet de l’action : « me ravit » (C.O.D), « me le demande » (C.O.I), « elle nous entraîne » (C.O.D), « la nature nous oblige » (C.O.D) : pulsion justifiée, légitimée par la nature.
- négation du verbe pouvoir : « je ne puis refuser » insiste sur l’incapacité de résister, comme si D.J était dominé par une force qui le dépasse
- champ lexical de la magie, pour insister sur l’aspect inexplicable, indomptable de l’amour : « charmer » (polysémie : séduire / envoûter), « charmes inexplicables »
2. Le renversement des valeurs : un réquisitoire contre la fidélité
- ponctuation expressive : questions rhétoriques, interjections : « quoi ? », « non, non », exclamations : D.J réagit avec virulence, met beaucoup d’énergie dans son argumentation
- nombreuses négations : « non, non », « la constance n’est bonne que… », « ne doit point dérober », « n’engage point mon âme », « je ne puis refuser » : exprime son refus de la fidélité
- termes péjoratifs : « faux honneur », « injustice », « ridicules »
- antiphrase : « la belle chose » : ironie de D.J
- : champ lexical de la mort : « s’ensevelir », « être mort dès sa jeunesse » (antithèse) : métaphore de la mort à laquelle est assimilée la fidélité. Image reprise à la fin, avec atténuation : « nous nous endormons dans la tranquillité » (fidélité est synonyme d’ennui)
L’outrance de cette tirade va s’opposer à l’échec rencontré par D.J dans l’entreprise de séduction qu’il projette : il compte enlever une jeune femme près de se marier. Ironie du sort, son expédition va se solder par un naufrage, dont il sera sauvé par Pierrot : celui qui se croyait indépendant, libre de toute contrainte, devra la vie à un paysan. Le discours puissant et conquérant de D.J se trouve démenti par les faits, et par là-même, D.J s’en trouve ridiculisé…